Dans les années I960, les Indiens nahuas d'une région du fleuve Balsas au Mexique, de tout temps réputés pour leur sens du commerce et leurs productions artisanales, réinventèrent la peinture sur amate, papier d'écorces battues qui servait jadis de support pour les manuscrits préhispaniques, ou codex. Le genre suscita des courants graphiques et des écoles villageoises, fort différents selon les communautés. Nourris des oeuvres collectives, certains peintres s'affranchirent avec le temps de l'esthétique communautaire, des attentes du marché touristique et des demandes officielles. D'artisans, ils devinrent artistes et leurs oeuvres sont désormais présentes dans des galeries de la capitale et des États-Unis. Mais en 1990, cette success story est en péril lorsqu'un projet de barrage hydroélectrique menace d'engloutir une partie de leur territoire et de déplacer quelque 40 000 personnes. Contre cette mort annoncée, les habitants se mobilisent en recourant en particulier à leur art de l'image et font annuler le projet - victoire sans précédent au Mexique -, à l'occasion de la célébration de la découverte de l'Amérique en 1992. En choisissant de faire l'anthropologie du peintre indien et de son art, de l'étude des techniques à leur transmission, Aline Hémond s'attache aux histoires de vie des peintres fondateurs qui « inventent la tradition » et de nouveaux rapports sociaux et symboliques intégrés au tissu communautaire. Elle éclaire également la nature des catégories mentales mises en jeu, et montre les dimensions culturelles de l'espace figuratif. Enfin, elle cerne les reformulations identitaires et territoriales auxquelles a donné lieu ce combat contre le projet de barrage, où se sont fabriqués identité et territoire, comme dans l'amate.